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Exposé liminaire de la soutenance

Voici le texte (au style nécessairement plus oral que celui de la thèse) de l’exposé de 20 minutes prononcé en début de soutenance le 3 février 2021 à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, avant les quatre heures de discussions avec le jury qui ont été très stimulantes, portant tour à tour sur la partie théorique de la thèse, puis sur la partie historique, et enfin sur les propositions normatives.

Introduction

Ma thèse porte sur le lien entre monnaie et dette dans un régime d’émission endogène. C’est une question que l’on peut aborder sous deux angles symétriques :

  • On peut tout d’abord partir de la monnaie : si on se demande d’où elle vient et comment elle est créée, on arrive immédiatement à la question de la dette, puisque c’est par elle que la monnaie est mise en circulation.
  • Inversement, on peut partir de la question de la dette, publique ou privée, qui atteint comme on le sait des montants astronomiques et sans cesse croissants. On peut se demander comment c’est possible que tous les agents économiques du monde soient aussi endettés, et auprès de qui ils le sont, donc d’où vient cet argent ? On tombe bien sûr sur la question des inégalités et des grandes fortunes, mais aussi sur la question de la création monétaire puisqu’une partie de l’argent prêté par les créanciers a été tout simplement créé par le crédit bancaire ou la monétisation par les banques de l’achat des créances.

A titre personnel, je suis venu à ce sujet plutôt par le deuxième angle pour mon mémoire de M2, après la crise des subprimes, en plein pendant la crise des finances publiques du début des années 2010, et je pense qu’on sent que la préoccupation pour la dette publique et le recouvrement par l’Etat du monopole de la création monétaire, est toujours très présente dans ma thèse. En découvrant le 100% Money de Fisher (1935), j’y ai vu une manière de déconstruire le faux problème de la dette publique de manière finalement plus radicale que ne le font les postkeynésiens ou la MMT.

Je vais commencer par revenir sur quelques données qui ont marqué l’actualité de ce sujet depuis que j’ai déposé ma thèse.

Ensuite je repréciserai les principaux objectifs que je poursuivais dans ce travail.

Dans un troisième temps, j’essaierai de souligner les principaux apports et originalité de mon approche.

Et enfin je conclurai en évoquant quelques pistes de recherche futures.

I/ Actualité du sujet

A l’époque de mon mémoire, la question du lien entre monnaie et dette, de l’endogénéité et des alternatives possibles, n’intéressait pas grand monde, mais aujourd’hui, le sujet s’est vraiment invité sur la scène médiatique là encore par le second angle d’approche, c’est-à-dire en partant de la dette. On assiste depuis quelques mois à de fortes polémiques dans les médias sur l’annulation de la dette publique, auxquelles certains d’entre vous ont participé, contre d’autres acteurs qui qualifient cette proposition d’ « Economie vaudou », ou d’ « argent magique ».

C’est bien sûr la crise sanitaire qui a rendu visible ce débat, puisqu’elle alourdit considérablement le stock de dette mondial, même si j’ai tenté de montrer que ça s’inscrit en fait dans la continuité d’une dynamique de temps long. On a les premiers chiffres 2020, même si la crise sanitaire est loin d’être terminée : selon l’agence de notation Fitch, les États dans le monde se sont autant endettés en 2020 qu’au cours des sept années précédentes, pour arriver à 64 500 milliards d’euros. En France, la dette publique a augmenté de 300 milliards d’euros au cours des trois premiers trimestres 2020, pour atteindre près 2 700 milliards.

Or cela nous renvoie immédiatement à la question de la création monétaire. D’après un reportage de Challenge auprès de l’Agence France Trésor, la moitié des titres émis par la France se retrouvent dans le bilan de la BCE quelques heures seulement après leur adjudication. On voit donc que l’interdiction du financement direct des Etats par la BCE est largement une fiction contournée par le détour du marché secondaire pendant seulement quelques heures. Cela nourrit un vif débat par exemple sur l’avenir de la dette Covid :

  • Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, tient des propos ambigus sur ce sujet dans Challenge. D’un côté Il a dit qu’ « il n’y a pas de plafond théorique à la taille du bilan de la BCE », donc a priori pas de limite au financement des déficits publics. Mais d’un autre côté, il dit aussi qu’ « une dette doit être remboursée tôt ou tard ».
  • Ce n’est pas l’avis des Français, dont seuls 7 % sont prêts à rembourser la dette publique aux termes prévus, 93 % préférant qu’elle soit étalée dans le temps, purement et simplement annulée ou payée par un impôt exceptionnel sur la fortune. En France, cela fait deux ans que certains Gilets Jaunes réclament l’annulation de la dette publique, donc bien avant la COVID, et que des ministres leur répondent qu’il faut payer ses dettes et gérer le budget de l’Etat comme un bon père de famille.

Cela annonce donc des conflits sociopolitiques lourds sur cette question, et on ne parle ici que de la dette publique, qui n’est bien sûr qu’une partie du problème.

La dette publique est un sujet que certains hétérodoxes peuvent avoir tendance à minorer, comme Eric Berr et ses coauteurs qui viennent de sortir un ouvrage sur la question. On peut comprendre leur position, puisqu’il s’agit de combattre la vision libérale qui exige le remboursement de la dette et justifie des cures d’austérité absurdes. Mais ça conduit a contrario ces auteurs à sous-estimer l’impact de la dette publique sur la stabilité économique et politique. Je pense qu’on reviendra sur la question des postkeynésiens dans les questions, auteurs dont je me sens très proches par certains aspects mais en désaccords sur d’autres, notamment sur la théorie révolutionnaire de l’endogénéité et sur à quel point la dette publique peut être un problème. Comme vous l’avez compris, je crains pour ma part qu’un fardeau d’endettement public aussi lourd que celui qu’on connait ne limite les marges de manœuvre de l’Etat, pas pour des raisons objectives puisque le Japon a 250 % de dette publique sur PIB et n’en est pas mort (alors que la France n’est qu’à 116,4%), mais il y a des limites psychologique parce que c’est un très puissant facteur de défiance. Il y a toujours en arrière fond le spectre de la banqueroute qui hante les esprits. En 2020, cinq États se sont trouvés dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts : l’Argentine, l’Équateur, le Liban, le Suriname et la Zambie.

Bien sûr, il y a des divergences entre les pays du Nord et du Sud. Effectivement, le rapport d’endettement n’est pas structuré par les mêmes déterminants institutionnels dans ces deux groupes de pays, comme l’ont relevé à juste titre les rapporteurs.

  • D’après l’agence Fitch, au cours des dix dernières années, les taux d’intérêt des pays développés ont baissé, passant de 4 % à 2 % en moyenne, avec même des taux négatifs pour certains pays. Ça s’explique notamment par le fait qu’ils s’endettent dans leur propre monnaie (ou une monnaie commune), comme l’a pointé Jean-François Ponsot.
  • A l’inverse, dans pour les pays en voie de développement, les taux ont augmenté, passant de 4,4 % à 5,1 %. Au point que, selon Fitch, en 2022, les pays pauvres auront emprunté trois fois moins d’argent que les pays riches mais ils paieront le même montant d’intérêts que les pays riches (711 milliards d’euros)[1].

Comme les deux rapporteurs l’ont relevé, je n’ai pas beaucoup développé la question de la dette des pays en développement, pas plus par exemple que le non-paiement des réparations allemandes de la Première Guerre mondiale, car je me centre pas sur la dette en tant que telle mais sur la dette née de la création monétaire, donc sur le rapport entre monnaie et dette dans un régime d’émission endogène. Mais j’admets tout à fait les pays en développement ne font pas face aux mêmes conditions institutionnelles que les pays riches, notamment justement dans leur rapport à la monnaie.

Ce qui ne veut pas dire qu’il y a une frontière intangible qui protègerait les pays développés de tout risque de crise des finances publiques. On a bien vu au début des années 2010 que la défiance performative des marchés financiers pouvait atteindre des pays d’Europe de l’Ouest. Pour y faire face, il a été nécessaire de déployer des politiques non-conventionnelles, dont on sait aujourd’hui les limites.

Certes, une politique budgétaire ambitieuse pourrait surmonter les problèmes. Je suis tout à fait d’accord avec les postkeynésiens sur la nécessité d’un programme de dépense publique, mais pas sur la question du financement. Pourquoi passer par la dette pour financer ces dépenses, plutôt que par une création monétaire sans dette ? A nouveau, j’imagine qu’on y reviendra dans la discussion, mais cette solution permettrait de s’éviter un passif susceptible de devenir dangereux si les tenants de l’austérité se maintiennent ou reviennent un jour au pouvoir.

Mais avant d’en venir à ce point, j’ai voulu répondre à un certain nombre de questions sur la monnaie endogène. J’aimerais maintenant résumer les quatre grands objectifs que je me suis donnés dans ma thèse.

II/ Objectifs de la recherche

J’ai voulu montrer quatre points :

  • La monnaie n’a pas toujours été endogène : sauf à en diluer le concept, il faut la tenir pour une construction institutionnelle historiquement située et non une nécessité ontologique et transhistorique.

Ça ouvre une conséquence normative : la possibilité de créer une monnaie exogène. Ce qui m’amène à poser la question de savoir si ce serait facteur de stabilité ou d’instabilité : c’est l’objet de mon deuxième point, sur lequel je vais m’arrêter plus longuement.

  • J’ai voulu montrer qu’en régime exogène comme endogène, la masse monétaire ne s’adapte pas toujours aux besoins de l’économie, et que l’endogénéité, comprise au sens d’une monnaie produite par le marché du crédit, est un facteur d’instabilité. Même si ce n’est bien sûr pas la seule cause des crises économiques, c’est un facteur à part entière (distinct de l’instabilité financière), un facteur d’instabilité supplémentaire qui pourrait être évité par une monnaie exogène – du moins si on admet que l’endogénéité n’est pas une nécessité ontologique transhistorique.

Alors pourquoi la monnaie endogène est source d’instabilité ? Parce qu’elle repose sur une double contradiction : l’encastrement dans la dette et l’encastrement dans le marché. C’est pourquoi je parle de « l’encastrement de l’institution monétaire dans le marché de la dette ». 

  1. D’abord, l’encastrement dans la dette : dans le régime actuel, la création monétaire alourdit le fardeau de la dette. Chaque euro supplémentaire injecté dans l’économie produit un euro de dette supplémentaire. C’est comme si, au jeu du Monopoly, personne ne recevait d’encaisses initiales, ni d’encaisses supplémentaires gratuites à chaque fois qu’on passe sur la case départ, et devait s’endetter pour que la monnaie soit créée à chaque fois qu’il veut effectuer un paiement : on imagine à quel point le jeu serait instable (alors que même sans cela, il a été conçu pour montrer le caractère antisocial et instable de l’accumulation capitaliste, qui met fin à toute possibilité de transaction une fois qu’un des joueurs a monopolisé toutes les richesses).
  2. Ensuite, l’encastrement de la création monétaire dans des transactions de marché. Le régime endogène repose sur la production marchande décentralisée de la monnaie sur le marché du crédit : elle dépend donc d’une multitude de décisions microéconomiques dont rien n’assure a priori la cohérence macroéconomique.

J’ai dit à ce sujet que le régime actuel fait de la monnaie une marchandise comme Karl Polanyi le disait de l’étalon-or. Ludovic Desmedt a trouvé que le terme était peut-être malheureux parce qu’il risquait de créer une confusion entre la monnaie de crédit et la monnaie-marchandise, et c’est vrai que ce n’est pas la même logique, mais je voulais insister sur le fait qu’en plus de l’encastrement de la création monétaire dans la dette, il y a aussi le fait que la monnaie est produite et vendue sur un marché, par des transactions décentralisées.

Dans un tel système, la masse monétaire dépend de la demande, mais elle affecte en retour la demande, ce qui est cause d’instabilité. C’est ce qu’a montré Fisher : une chute de la masse monétaire due à une baisse de la demande de crédit peut créer de la déflation qui pousse au désendettement, et donc entretient la destruction monétaire. Cela mène à une situation de crise où la quantité de monnaie est loin de répondre aux besoins de l’économie réelle comme le prétendent Rochon et Rossi. Inversement, la hausse du prix des actifs en cas de bulle financière augmente la valeur des collatéraux, donc stimule la création monétaire qui alimente la bulle selon une logique auto-entretenue qui n’a rien à voir avec les besoins de l’économie réelle.

Après avoir montré (1) que la monnaie n’était pas endogène par nature, et (2) que l’endogénéité est un facteur d’instabilité en soi, cela a déplacé la problématique : la question était désormais d’expliquer non plus l’instabilité mais au contraire la relative stabilité historique de la monnaie endogène.

  • Mon troisième objectif était donc de montrer que les contradictions internes de la monnaie endogène ne sont accommodées que provisoirement par un mode de régulation qui rend compatible les décisions microéconomiques d’endettement avec les conditions de la reproduction d’un régime de croissance relativement stable jusqu’à ce que les contradictions deviennent insurmontables. J’ai tenté de caractériser, notamment dans le cas français, les médiations institutionnelles qui ont assuré des périodes de stabilité au XXe siècle, et les processus qui ont historiquement
  • Enfin, mon quatrième objectif était de formuler des propositions concrètes à la crise actuelle, en montrant qu’une monnaie entièrement exogène émise en dehors de toute dette et de tout marché serait un facteur de stabilisation macroéconomique.

III/ L’originalité de la thèse

Après avoir rappelé le raisonnement d’ensemble de la thèse, j’en viens maintenant à la troisième partie de mon exposé, en soulignant l’originalité de l’approche que j’ai adoptée et de certains apports que j’ai proposés.

  • Faire dialoguer plusieurs courants hétérodoxes qui n’ont pas le même cadre épistémologique :
    1. L’école de la Régulation.
    2. Les postkeynésiens
    3. Une approche anthropologique, mobilisée notamment pour développer la conceptualisation du rapport d’endettement qui était à mes yeux insuffisamment développée en économie.
  • J’ai en effet voulu articuler des considérations anthropologiques et conceptuelles sur le rapport d’endettement, avec des questions techniques sur la politique monétaire. En effet, je pense que ce qui se joue ultimement derrière les débats monétaires contemporains parfois très techniques, c’est en fait des visions différentes de ce que c’est que la dette, et qui expliquent des prises de position opposées.

Par exemple, la semaine dernière, le délégué général de LREM a proposé d’instaurer un prêt à taux zéro de 10 000 € pour les étudiants, ce qui a suscité deux prises de positions opposées :

  • d’un côté, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, s’est dit intéressé par la proposition,
  • alors que de l’autre côté, Mélanie Luce, la présidente de l’Unef, a trouvé la proposition « scandaleuse » et « déconnectée de la réalité », en disant : « Au lieu d’aides sociales, on nous propose un prêt, on ne veut pas commencer notre vie active en s’endettant »

Donc d’un côté, le ministre voit la dette comme un contrat mutuellement avantageux d’allocation inter-temporelle des ressources et espère résoudre ainsi les problèmes de précarité, alors que de l’autre côté, les potentiels débiteurs la voient comme un rapport social de dépendance, qui les soumettraient à des « affects tristes », ce que j’ai nommé le fardeau de la dette. Donc selon la conceptualisation anthropologique de la dette qu’on admet, on n’anticipe pas les mêmes réactions des agents aux politiques monétaires, par exemple, est-ce qu’ils vont être prêts à s’endetter ou pas, et ça explique en partie les difficultés dans lesquelles se trouvent prises les politiques contemporaines, en particulier l’échec de l’approche par le multiplicateur de crédit.

  • Un autre apport de la thèse c’est de proposer une contribution à la Théorie de la Régulation, en abordant la question de l’endogénéité sous une perspective historique pour étudier quelles régulations institutionnelles ont assuré en pratique sa viabilité au XXe siècle, en créant une stabilité certes imparfaite et transitoire mais néanmoins réelle. Ça m’a semblé éclairant pour comprendre par exemple la trajectoire des taux d’intérêt au cours des dernières décennies, les politiques monétaires menées depuis la crise ou encore les débats les plus contemporains sur ces questions.
  • J’ai aussi voulu montrer le rôle que l’endogénéité a pu jouer dans les crises économiques, en particulier celle de 2007 qu’on réduit souvent à une crise immobilière et financière, en oubliant un peu vite que c’est aussi une crise du crédit bancaire, et donc de la monnaie endogène, avec un grand nombre de faillites bancaires. Si les Etats et les Banques centrales n’étaient pas massivement intervenus, en s’asseyant sur leurs propres dogmes, pour sauver les banques, on aurait pu être confrontés à une matérialisation du risque systémique. Cela aurait fait disparaître purement et simplement la monnaie scripturale, du fait de l’absence de couverture intégrale des dépôts à vue dans un système à réserves fractionnaires – soit le même problème que celui identifié par Fisher dans son analyse de la spirale désendettement-déflation après la crise de 1929. Si on a appris de cette crise comment gérer ce problème, il reste tout de même structurellement inscrit dans les institutions mêmes du crédit bancaire.
  • Une autre originalité de la thèse est sans doute de réactiver la proposition fishérienne du 100 % Money, qui me paraît toujours pertinente, en l’adaptant au contexte contemporain et en montrant que contrairement à ce que pensent certains auteurs postkeynésiens, cette réforme structurelle n’empêche pas de mener des politiques conjoncturelles expansionnistes. Il est vrai que l’approche de Fisher restait assez libérale même en 1935, mais j’ai essayé de montrer qu’on pouvait tout à fait faire un usage keynésien de son projet de réforme, en utilisant la monnaie exogène au service d’une relance de la demande effective.
  • Plus globalement, j’ai proposé de synthétiser le débat académique actuel sur les politiques monétaires en classant les nombreuses propositions qui existent selon leur degré de rupture avec l’endogénéité.

IV/ Ouverture : quel programme de recherche futur sur ce sujet ?

Pour finir par une ouverture, j’aimerais mentionner quelques pistes de recherches futures. Au cours de mes recherches, je me suis aperçu que le sujet était très large, une des difficultés d’ailleurs pointées par les rapporteurs étant bien sûr d’approfondir suffisamment chaque aspect. J’ai en particulier compris que le lien entre monnaie et dette pose en réalité trois questions distinctes quoiqu’entremêlées, à savoir :

  • La monnaie est-elle nécessairement mise en circulation par le crédit ? C’est la question de l’endogénéité, à laquelle j’ai dû restreindre la thèse pour la ramener de 800 à 400 pages. J’aurais pu davantage développer tel ou tel aspect de cette question, par exemple, comme les rapporteurs l’ont souligné, la restitution des débats théoriques entre postkeynésiens ou l’analyse historique de la réaction des agents privés à la politique monétaire des années 1920 ou des Trente Glorieuses, mais j’ai tenté de rester dans une longueur raisonnable. Pour cela, j’ai notamment dû évincer une autre question qui est très intimement liée à la précédente :
  • La monnaie est-elle une créance ? Indépendamment de la façon dont elle est mise en circulation, est-ce que c’est un droit sur des biens réels, une créance exigible qui donne droit au porteur à des transferts d’actifs de la part de l’émetteur ? Et donc est-ce que la monnaie doit avoir une contrepartie comptable dans le bilan de l’émetteur, ou simplement une contrepartie marchande dans l’économie ? C’est à la fois une question très théorique, que l’on peut traiter chez différents auteurs, par exemple chez Jean Cartelier qui pose l’hypothèse d’une nécessaire résolution périodique des soldes monétaires à la fin des cycles d’échanges, où la monnaie devrait disparaitre périodiquement pour solder les comptes en réallouant les actifs. Mais c’est aussi une question qui se pose de manière très pratique, par exemple dans le débat qui a opposé les économistes allemands aux autres membres de la zone euro sur la question de savoir s’il fallait introduire des collatéraux dans le système de paiement inter-Banques centrales Target 2. Ce sont des enjeux considérables, de l’ordre de 950 milliards d’euros de solde créditeur pour la Bundesbank en juin 2019, avec la question de savoir qui se ferait avoir de l’Allemagne ou de l’Italie en cas d’éclatement de la zone euro. Donc c’est un sujet que j’aimerais bien creuser à l’avenir.
  • Enfin, après s’être demandée si la monnaie est nécessairement mise en circulation par la dette, et si elle doit ou non être traitée comme une créance, une dernière question posée par le lien entre monnaie et dette est la suivante : la monnaie est-elle fondamentalement vouée au paiement des dettes ? C’est une question qui peut paraitre un peu étrange au premier abord, quoi qu’on peut se demander si notre Banquier Central et notre Ministre de l’économie ne pensent pas que le but de l’économie est de rembourser la dette publique, mais ça renvoie à tout le débat anthropologique sur la dette vie, introduit par Philippe Rospabé, et auxquels de nombreux auteurs régulationnistes comme Michel Aglietta ou Bruno Théret se réfèrent souvent, en s’opposant sur ce point à David Graeber, à Alain Caillet ou d’autres. Ma position personnelle se situe à cheval entre celle des régulationniste et celle de David Graeber. On peut en discuter si vous voulez, en tout cas c’est un débat intéressant que j’aimerais également creuser à l’avenir.

[1] https://www.ouest-france.fr/economie/des-faillites-d-etats-a-craindre-en-2021-7126328.