Ma thèse en 18 pages au lieu de 420 !
Ma thèse en 18 pages au lieu de 420 !
De vifs débats agitent la communauté des économistes sur la question de la dette publique ou des politiques monétaires, et ma thèse a cherché à remonter à la racine des problèmes auxquels font face aujourd’hui les Banques Centrales, en étudiant le lien entre monnaie et dette de manière théorique et historique, avant de proposer une solution radicale : le changement du mode d’émission de la monnaie.
I/ La création monétaire : un processus contre-intuitif
La plupart des gens (et même certains économistes de haut rang !) croient que la monnaie est entièrement créée par l’Etat grâce à la « planche à billet », puis injectée dans l’économie par la dépense publique. En réalité, la monnaie est créée par les banques privées lors de l’octroi des crédits, la Banque Centrale ne faisant qu’émettre la monnaie des règlements interbancaires qui leur permettent de payer leurs dettes réciproques. L’essentiel est de comprendre que la monnaie est aujourd’hui créée par le marché du crédit.
En effet, quand vous allez voir votre banquier pour lui emprunter de l’argent, il ne pioche pas nécessairement dans les comptes épargne (les dépôts à terme) de ses clients pour financer ce prêt : il peut créer directement l’argent qu’il vous prête en inscrivant la somme sur votre compte courant (dépôts à vue). On dit donc que ce ne sont pas les dépôts qui font les crédits mais les crédits qui font les dépôts !
Le banquier n’a pas cet argent dans ses coffres, mais il vous le doit dès lors qu’il l’inscrit sur votre compte courant : si vous souhaitez le retirer au guichet, il devra le trouver en l’empruntant à la Banque Centrale, à d’autres banques commerciales, ou à des épargnants ; et si vous faites un paiement par chèque, virement, prélèvement ou carte bleue vers le compte courant d’une autre personne dans une autre banque, votre banquier aura une dette envers cette banque-là. La monnaie bancaire (les dépôts à vue) constitue donc une créance sur la banque, mais la banque a elle-même une créance de même montant sur l’emprunteur : lors de la création monétaire, elle fabrique donc un actif et un passif égaux (si l’on ne compte pas les intérêts) qui garantissent que son bilan comptable reste équilibré.
L’argent ainsi créé circule dans l’économie de compte courant en compte courant, puis finit par revenir à la banque lorsque l’emprunteur rembourse son crédit : alors la monnaie est détruite ! On croit souvent que l’argent qu’on gagne à la sueur de notre front pour rembourser nos dettes rentre dans les coffres des banquiers, mais en réalité, cette monnaie qui a été créé par le prêt disparaît purement et simplement lors du remboursement ! Cela est toutefois nécessaire pour que le bilan de la banque reste équilibré (le passif est détruit en même temps que l’actif), que le banquier puisse accorder de nouveaux prêts à de nouveaux emprunteurs et qu’un nouveau cycle de crédit commence : prêt / création monétaire -> paiements / circulation monétaire -> remboursement / destruction monétaire. La masse monétaire, c’est-à-dire le volume total de monnaie en circulation dans l’économie, n’est pas un stock fixe : c’est un flux, ou plutôt un stock créé par le délai qui sépare les flux de création de monnaie créée en permanence par les nouveaux crédits et les flux de destruction de monnaie causée en permanence par le remboursement des anciens crédits.
II/ Les sources d’instabilité de ce mode d’émission
Si ces deux flux ne varient pas exactement dans le même sens au même moment, la masse monétaire augmente ou diminue : c’est donc un stock fluctuant. En pratique, on cherche à ce qu’elle augmente en permanence, pour financer toujours plus d’activité et générer de la croissance et de l’emploi. Cela ne crée pas forcément d’inflation, car injecter plus d’argent dans l’économie n’augmente pas forcément le niveau des prix : cela peut aussi bien stimuler la production d’un surplus de biens et services dont la vente absorbe le surplus de monnaie. Sans cette augmentation de la masse monétaire, la croissance de la production réelle ferait au contraire baisser l’ensemble des prix et des salaires, puisqu’il y aurait toujours autant d’argent en circulation pour acheter un nombre croissant de marchandises et payer un nombre croissant de salariés : ce serait la déflation, une forme de crise économique où les entreprises sont contraintes de baisser les salaires, et même produire de moins en moins faute de débouché car les consommateurs manquent de pouvoir d’achat, ce qui provoque une baisse des embauches donc une hausse du chômage… donc une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, empêchant les entreprises d’écouler leurs stock, ce qui les contraint à baisser les embauches, dans un cercle vicieux qui s’auto-entretient.
En plus, les entreprises, ménages ou organismes publics qui sont très endettés voient le poids réel de leur dette augmenter en cas de déflation : ils doivent toujours rembourser la même somme (alors qu’ils subissent une perte de revenu !) mais la même quantité d’argent qu’ils doivent payer représente désormais un plus grand pouvoir d’achat à céder à leurs créanciers, puisque les prix baissent. C’est un peu la situation dans laquelle l’économie se trouve depuis au moins la crise de 2007 : pour endiguer la spirale déflationniste qui menace l’Europe, les Banques Centrales créent donc de plus en plus de monnaie interbancaire, prêtant massivement de l’argent aux banques ou leur rachetant des actifs financiers afin que les banques puissent elles-mêmes accorder des prêts à l’économie en toute sécurité.
Mais au lieu de financer l’investissement en prêtant aux entreprises qui pourraient ainsi embaucher, les banques se méfient de leur capacité à écouler un surplus de production quand la demande globale est si faible sur les marchés, elles préfèrent donc utiliser l’argent de la Banque Centrale pour spéculer sur les marchés financier. La monnaie créée est donc détournée de l’économie réelle : au lieu de stimuler l’investissement, la croissance et l’emploi, avec un retour d’un minimum d’inflation, elle alimente une bulle spéculative, c’est-à-dire la hausse des prix des actifs sur les marchés financiers (actions, obligations, devises, contrats d’assurance spéculatifs, Bitcoins…) ou financiarisés (marché immobilier, marché des matières premières, marché de l’art…). C’est pour cette raison que les riches sont toujours plus riches malgré la crise : quand chacun voit ses revenus baisser faute d’argent dans l’économie réelle, les plus fortunés voient la valeur de leur patrimoine sans cesse gonflée par le détournement de la création monétaire vers les marchés financiers.
La valeur des entreprises du CAC 40 (le prix des actions) n’a plus aucun rapport avec leur rentabilité (les dividendes qu’elles peuvent verser chaque année grâce aux profits qu’elles font), de même que les prix de l’immobilier parisien sont entièrement déconnectés des flux de loyers que ces biens peuvent rapporter (puisque les locataires, qui ne voient pas leurs revenus augmenter, seraient incapable de payer plus) : les spéculateurs sont prêts à acheter une action ou un appartement à un prix très élevé même s’ils ne pourront pas se rembourser par les flux de revenus qu’il génère (dividendes ou loyers) parce qu’ils espèrent simplement revendre l’actif plus cher plus tard. Tant que les cours augmentent, chacun réussit son pari et est incité à recommencer, entretenant la bulle spéculative. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis au début des années 2000 jusqu’à la crise des subprimes : chacun empruntait pour acheter une maison pour lui-même ou pour la mettre en location, en étant prêt à payer très cher car si l’on était incapable de rembourser les intérêts à la banque, il suffirait de revendre la maison plus cher qu’on ne l’avait acheter. Les prix montaient sans cesse, jusqu’à la crise : alors, chacun s’est mis à vendre en catastrophe avant que les prix ne s’effondrent encore plus, ce qui précipite bien sûr la chute des prix, et les maisons ne valaient plus rien…
La valeur des actifs s’évanouit subitement quand une bulle éclate, mais les dettes qui les finançaient restaient là, elles ! Puisque beaucoup d’agents sont incapables de les payer, les banques perdent les créances qu’elles avaient sur les débiteurs à l’actif de leur bilan : elles risquent de faire faillite, et doivent couper le robinet du crédit pour rééquilibrer leur bilan. Alors, les entreprises et les ménages, déjà surendettés, ne peuvent plus emprunter : ils dépensent moins, investissent moins, embauchent moins, et la crise se transmet à l’économie réelle. Chacun cherche à se désendetter, mais cela revient, à l’échelle collective à détruire de la monnaie, donc à aggraver la crise et la déflation… ce qui augmente le poids réel des dettes ! C’est ce qui s’est passé pendant la crise de 1929, comme l’a montré à l’époque l’économiste américain Irving Fisher : entre 1929 et 1933, l’endettement nominal a diminué de 20 % aux Etats-Unis, mais cela provoque la destruction de sept milliards de dollars en quatre ans (la masse monétaire passe d’environ 27 milliards en 1929 à 20 milliards en 1933), et la vitesse de circulation de la monnaie diminue d’un tiers car les échanges ralentissent : ces deux effets combinés créent une rareté de la monnaie donc une formidable hausse de son pouvoir d’achat (le dollar s’apprécie de 75 % du fait de la baisse des prix)… ce qui mène le poids réel de l’ensemble des dettes de l’économie à augmenter de 40 % alors même que le stock nominal de dettes a chuté de 20 % ! Ainsi, selon Fisher, plus les débiteurs remboursent leurs dettes, plus ils sont endettés ! C’est la spirale désendettement-déflation identifiée par l’auteur, et qui peut théoriquement mener à une destruction complète de la monnaie de crédit – ce qu’on pourrait nommer une crise d’ « hyperdéflation », symétrique de l’hyperinflation qui détruit la monnaie par surémission !
III/ Au cœur du problème : l’encastrement de la création monétaire dans le marché du crédit
Des leçons ont été tirées de la crise de 1929 par des économistes comme Keynes et Fisher, et des expériences politiques comme le New Deal ou le Front Populaire. Dans les Trente Glorieuses, la finance était très règlementée et la création monétaire, placée sous tutelle publique, alimentait une forte croissance qui rendait les dettes soutenable. Mais depuis quarante ans, le néolibéralisme a détricoté toutes ces régulations et amorcé un retour à un régime de croissance faible à fort chômage, car la création monétaire nourrit à nouveau surtout des bulles spéculatives plutôt que l’économie réelle. Rien n’a vraiment changé après la crise des subprimes : encore aujourd’hui, un choc de confiance risque à tout instant de faire exploser la bulle financière ou immobilière qui gonfle au moment même où j’écris, et de fragiliser encore plus l’économie réelle qui va déjà très mal, augmentant les faillites et le chômage. La Banque Centrale se trouve alors face à un dilemme : si elle prête de l’argent pas cher aux banques, elle alimente une bulle financière et immobilière qui risque d’éclater à tout moment, mais si elle arrête de le faire, elle risque de déclencher elle-même l’éclatement de la bulle ! La solution serait que l’argent aille directement aux ménages et aux entreprises plutôt que sur les marchés financiers, mais c’est difficile d’obliger les banques à prêter à ces agents, et eux-mêmes ne sont pas forcément prêts à s’endetter davantage en période de crise…
Ici se noue d’après moi le cœur du problème : le fait que la création monétaire passe par le marché du crédit. La création monétaire est « encastrée » dans le marché de la dette. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
1- La création monétaire est encastrée dans le marché. La quantité de monnaie en circulation n’est pas contrôlée directement par la Banque Centrale qui aurait le pouvoir d’augmenter ou de diminuer à sa guise la masse monétaire : la masse monétaire est produite comme un flux de marchandises sur un marché décentralisé fait d’innombrables contrats privés, de sorte qu’elle varie en fonction des décisions microéconomiques de prêt et d’emprunt des banques et des agents non financiers (ménages, entreprises, pouvoirs publics) dont on espère que cela produira, à l’échelle agrégée, la quantité de monnaie optimale pour l’économie, permettant d’assurer le plein-emploi… ce qui n’arrive naturellement pas !
2- La création monétaire est encastrée dans la dette. Pour qu’un euro de monnaie supplémentaire soit injecté dans l’économie, il faut qu’un euro de dette supplémentaire soit créé. Il faut donc que les agents soient prêts à s’endetter, même en temps de crise, sans savoir s’ils pourront rembourser ! Dans un contexte où entreprises, ménages et Etats sont tous déjà très lourdement endettés, et voient leurs revenus s’effondrer à cause de la crise, personne ne veut s’endetter davantage pour ne pas prendre de risque inconsidéré !
Marchandisation et mise en dette de la monnaie : j’ai tenté de montrer dans ma thèse que ce double encastrement (auquel correspond la notion économique de « monnaie endogène », du moins dans la conception que j’en ai, car ce terme est en réalité polysémique et ambigu) n’était pas une nécessité ontologique indépassable liée à la nature intrinsèque de la monnaie, comme le pensent certains auteurs, mais un produit de l’Histoire, contingent et néfaste – mais susceptible d’être dépassé. J’ai aussi voulu montrer quelles médiations institutionnelles, politiques, culturelles, etc., avaient permis des périodes de relative stabilité de ce régime monétaire au XXe siècle, entre deux crises économiques où ces régulations volaient en éclat. En France, après les errements des années 1920, la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, l’Etat a reconquis le contrôle de la monnaie, créée pour l’essentiel par la puissance publique pour la puissance publique durant les Trente Glorieuses, dans une économie planifiée connaissant une forte croissance de plein-emploi modérément inflationniste et une décrue très rapide du ratio dette publique / PIB. Mais la dette privée a connu un essor progressif, les agents privés jouant un rôle sans cesse croissant dans l’offre et la demande de monnaie, jusqu’aux chocs pétroliers et à la stagflation des années 1970. Alors s’est progressivement mis en place le régime néolibéral : une hausse brutale des taux d’intérêts (le « choc Volcker » de 1980, du nom du banquier central américain) a brisé l’inflation, et ouvert un mode d’émission favorable aux créanciers plutôt qu’aux débiteurs, aux épargnants plutôt qu’aux consommateurs et investisseurs, au capital plutôt qu’au travail… Dans un contexte d’économie mondialisée et financiarisée, de recul de l’Etat (privatisations, baisse de la protection sociale, austérité budgétaire…) et de libéralisation du marché du travail, il en a résulté une croissance faible et un retour du chômage de masse : les revenus ont stagné, tandis que les bulles financières gonflaient, accentuant les inégalités. Pour nourrir l’endettement nécessaire au maintien d’un minimum de demande global, dans un contexte de compression des revenus, et éviter l’éclatement des bulles spéculatives, les autorités monétaires ont dû encourager la baisse continue des taux d’intérêts au cours de la période… jusqu’aux taux négatifs apparus aujourd’hui !
Ceux-ci manifestent un excès d’épargne par rapport à l’investissement : dans un contexte menaçant où chacun craint pour son avenir, les agents préfèrent épargner qu’emprunter : ils gardent leur argent à la banque plutôt que d’investir. En réalité, ils craignent même un effondrement du secteur bancaire dont la crise de 2007 a révélé la fragilité : si les banques font faillite, la monnaie déposée sur les comptes courants, qui n’existent que comme jeu d’écriture comptable dans leurs bilans, disparait ! Dès lors, plutôt que de garder de la monnaie, les agents préfèrent la prêter à un agent qu’ils estiment plus fiable : l’Etat, qui risque moins de faire banqueroute. Ils sont même prêts à payer l’Etat pour lui prêter : ce sont les taux d’intérêts négatifs, que les créanciers consentent parce que même en prêtant à perte, ils ont moins à perdre qu’en gardant leur argent à la banque où il risque de se volatiliser en cas de faillite lors de la prochaine crise financière ! La confiance a presqu’entièrement disparu de l’économie : personne n’anticipant de hausse de la demande globale sur les marchés des biens et services, aucun investissement dans l’économie réel ne parait rentable, et les agents préfèrent spéculer (sur l’immobilier ou les titres financiers) ou prêter à perte aux Etats en attendant l’effondrement du système financier ! C’est ce que j’ai appelé la « finance punk », car le slogan des punks (mouvement né au début des années 1980, comme les politiques monétaires néolibérales) était : « no future » ! « Il n’y a plus d’avenir sur la terre », comme disait déjà la comédie musicale Starmania en 1979, un pessimisme prophétique que le désastre économique, social, environnemental et sanitaire n’a fait que confirmer depuis. Mais loin de résoudre les problèmes, le système monétaire et financier néolibéral ne fait que les aggraver, empêchant le financement des solutions car plus personne n’est en mesure de s’endetter pour créer l’argent nécessaire au financement des investissements productifs socialement vertueux qui nous font tant défaut.
IV/ Théorie Monétaire Moderne, effacement de la dette publique, hélicoptère monétaire… quelles solutions s’offrent à nous ?
Une solution (prônée par exemple par la Théorie Monétaire Moderne) serait de laisser l’Etat s’endetter autant que nécessaire auprès des banques ou directement auprès de la Banque Centrale elle-même (donc de lui-même) à la place des agents privés, le temps de relancer l’économie, par exemple en finançant la reconstruction écologique, sociale et sanitaire du pays, qui créera des millions d’emplois et amorcera le cercle vertueux proposé par Keynes pour sortir de la crise des années 1930 : hausse de l’investissement à hausse de l’emploi à hausse des revenus à hausse de la consommation à hausse des recettes des entreprises à hausse de l’investissement à… Si l’activité augmente, les recettes fiscales augmentent proportionnellement, permettant à l’Etat de rembourser sa dette.
Notons d’ailleurs que l’Etat est immortel et a le droit de faire rouler sa dette (c’est-à-dire d’emprunter pour rembourser une dette précédente, ce qui est interdit aux agents privés). En outre, il contrôle la Banque Centrale et peut donc créer autant de monnaie que nécessaire : il ne devrait donc jamais avoir de difficulté à financer son déficit quelle que soit la situation selon les partisans de la Théorie Monétaire Moderne. Toutefois, la Banque Centrale Européenne n’a pas le droit de prêter directement aux Etats à cause de traités absurdes, forçant les Etats à se financer sur les marchés financiers : si ces derniers les jugent trop endettés, ils peuvent refuser de leur prêter, ou exiger un taux d’intérêt très élevé. C’est ce qui est arrivé aux pays d’Europe du Sud pendant la crise des dettes souveraines au début des années 2010 : s’étant fortement endetté pour sauver les banques à cause de la crise des subprimes et pour faire face à une économie en crise (donc à une baisse des recettes fiscales et à une hausse des dépenses sociales), les Etats ont été confronté à une crise des finances publiques. Les marchés, doutant soudain de leur solvabilité, exigent alors des taux mirobolants qui ruinent justement la solvabilité des Etats : c’est ce que l’on nomme une prophétie auto-réalisatrice !
Depuis lors, les Banques Centrales ont pris le relai des marchés financiers par des politiques monétaires non-conventionnelles : à travers les programmes d’ « assouplissement quantitatif » (quantitative easing), elles rachètent la dette des Etats. Dans la zone euro, la BCE n’a pas le droit de financer directement les Etats, mais le problème est vite contourné car elle achète immédiatement la dette sur le marché secondaire : autrement dit, quand un Etat-membre s’endette, il émet un titre de dette sur le marché primaire, où seules les banques commerciales peuvent l’acheter, mais elles peuvent ensuite revendre cette créance sur le marché secondaire, où la BCE a le droit d’intervenir : en pratique, les banques françaises revendent la moitié de la dette de l’Etat français à la Banque Centrale dans les heures qui suivent son émission ! C’est ainsi que la BCE possède aujourd’hui 25 % de dette publique détenus : 600 milliards d’euros sur 2 400 milliards dans le cas de la France.
Ainsi, face à la crise, les Banques Centrales se sont de plus en plus tournées vers les solutions qui prévalaient pendant les Trente Glorieuses : une monnaie créée davantage par la puissance publique pour la puissance publique, en contournant le marché du crédit. La monnaie est ainsi de plus en plus « désencastrée » du marché, mais elle passe toujours par la dette : l’Etat emprunte (indirectement) à la Banque Centrale. Or, puisque la Banque Centrale appartient à l’Etat (dans le cas de la zone euro, la BCE appartient aux Banques Centrales Nationales, qui elles-mêmes appartiennent entièrement aux Etats-membres, sauf la Banque d’Italie), alors la dette publique qu’elle détient est en fait une dette de l’Etat envers lui-même (ou, inversement, une créance de l’Etat sur lui-même) ! Cela a-t-il du sens d’être endetté envers soi-même, ou de se prêter à soi-même de l’argent ? N’est-ce pas là une fiction comptable ?
Pourquoi alors ne pas effacer la dette publique détenue par la Banque Centrale, comme le proposent aujourd’hui de nombreux macro-économistes parmi les plus brillants, comme Gaël Giraud ou Jézabel Couppey-Soubeyran ? Cela ne reviendrait pas à faire défaut de paiement envers des créanciers privés : aucun épargnant ni aucune banque ne serait lésé (puisque la Banque Centrale leur a déjà racheté leurs créances sur l’Etat), et il n’y aurait donc aucun risque de crise financière (au contraire, voir l’Etat se désendetter en effaçant une dette fictive correspondant à un simple artifice comptable rassurerait les marchés financiers). Ainsi, on peut effacer 600 milliards de dette publique sans faire défaut de paiement envers les épargnants, ni lever des impôts et faire une cure d’austérité budgétaire (baisse de la dépense publique) pour rembourser, ni même créer le moindre euro supplémentaire : il n’y a pas de création monétaire (donc pas de risque d’inflation !) puisque l’opération se ferait à masse monétaire inchangée (soldant la dette fictive née d’une création monétaire déjà passée).
Chacun sait à quoi renvoie l’expression « se libérer d’une dette » : c’est une émancipation, car la dette est un fardeau. Ce n’est pas un simple contrat mutuellement avantageux librement consenti entre deux agents rationnels, comme le pensent trop d’économistes : c’est un rapport social de dépendance, qui suspend la réciprocité dans l’échange en instaurant un délai entre le donné et le rendu, ce qui suspend aussi l’égalité de statut qui est au fondement de l’échange marchand, comme l’a montré l’anthropologue David Graeber. Un danger se loge dans ce rapport social potentiellement violent : l’inégalité de statut n’est en principe suspendue que de manière provisoire, mais le délai introduit la temporalité, donc l’incertitude, le risque de ne plus pouvoir rembourser et d’être pris à la gorge par les créanciers. L’Histoire regorge d’exemple de ces hordes de pauvres gens tombés en servitude pour dette sous des formes diverses, esclavage, péonage ou mise en gage, depuis la Mésopotamie Antique, et même les Etats peuvent être dépouillés et asservis par leurs créanciers, comme la Grèce le fut pendant la décennie passée. La dette est donc un rapport social de dépendance : c’est pourquoi les agents cherchent à éviter le fardeau de la dette qui les précarise au point de miner leur santé mentale et physique comme le documentent de nombreuses études. C’est également pourquoi il est toujours dangereux de laisser l’Etat s’endetter (même auprès de sa propre Banque Centrale, car le risque d’une remise en marché de la dette publique par une technocratie dévoyée et aveugle n’est jamais à exclure !) dans des proportions aussi fortes que celle que nous connaissons : près de 120 % du PIB, soit des montants jamais atteints au siècle dernier, en dehors des deux périodes de Guerre Mondiale laissant une dette colossale qui ne fut réduite à néant que par l’inflation et la croissance, qui semblent aujourd’hui se dérober !
L’effacement de la dette publique détenue par la Banque Centrale est une piste de solution, mais elle n’équivaut pas en tant que telle à de la création monétaire, et ne permet donc pas à elle toute seule de relancer l’activité. Elle se contente de redonner des marges de manœuvres budgétaires à l’Etat en éliminant le faux problème de la dette détenue par la Banque Centrale et en redonnant confiance aux marchés auprès de qui l’Etat pourra de nouveau s’endetter pour financer la relance des dépenses productives. Mais pourquoi ne pas aller encore plus loin, et admettre de la création monétaire en dehors de toute dette pour relancer l’activité sans ré-alourdir le fardeau de la dette que l’on venait d’alléger ? C’est par exemple ce qu’envisage Jézabel Couppey-Soubeyran (qui dirige le Master « Monnaie, banque, finance » de la Sorbonne) en prônant le recourt à l’hélicoptère monétaire : la Banque Centrale verserait de la monnaie sans contrepartie aux ménages ou aux entreprises sous forme d’allocation ou de subvention, augmentant la masse monétaire (donc le pouvoir d’achat des agents, nécessaire à la relance de l’économie) sans qu’aucune dette ne soit créée. Avant-même la crise sanitaire, l’économiste Daniel Cohen (professeur à l’Ecole Normale Supérieure) proposait ainsi que la Banque Centrale fasse un chèque de 1 000 € à tous les Français pour Noël en 2019, afin de relancer la consommation ! On peut aussi imaginer que des subventions soient versées aux entreprises pour qu’elles réalisent des « investissements verts » qui n’offrent pas de rentabilité financière (et ne peuvent donc être financés par des prêts à rembourser, puisqu’ils ne génèrent aucune recette monétaire !) mais permettent de décarbonner la production, donc de réduire les exernalités négatives sur le climat.
V/ Désencastrer la création monétaire du marché du crédit
Ma thèse se concluait par une proposition encore plus radicale : faire en sorte que l’ensemble de la masse monétaire soit créée par la puissance publique, et mise en circulation en dehors de toute dette (comme au Monopoly !). Pour effectuer la transition, il faut s’inspirer du 100 % Money de Fisher (1935) ou Chicago Plan que connaissent bien certains internautes : la Banque Centrale créerait de la « base monétaire » (la monnaie centrale servant aux règlements interbancaires) pour racheter les titres de dette publique aux banques (en les annulant au fur et à mesure) jusqu’à ce que celles-ci aient une couverture intégrale des dépôts à vue par des réserves entières (et non plus fractionnaires comme aujourd’hui) en monnaie centrale. Ce charabia technique signifie tout simplement que la Banque Centrale (qu’il conviendrait de renommer « Institution d’Emission », puisqu’elle met alors la monnaie en circulation sans recourir au crédit) retrouve le monopole de la création monétaire : les banques commerciales ne peuvent plus en créer. Elles hébergent toujours les dépôts à vue mais doivent elles-mêmes déposer les sommes collectées sur les comptes courants dans leur propre compte à la Banque Centrale (ce qui supprime d’ailleurs tout risque de disparition de la monnaie en cas de faillite bancaire ou de ruée bancaire[1]). La puissance publique décide désormais souverainement de la masse monétaire en circulation.
Si Fisher restait un auteur très libéral, redoutant les surémissions et l’inflation, rien n’interdit de mener des politiques monétaires keynésiennes (c’est-à-dire de relance) dans le nouveau cadre institutionnel. L’Institution d’Emission déciderait ainsi d’augmenter la masse monétaire de 5 % par an par exemple, en visant une croissance réelle de 2,5 % et une inflation de 2,5 % (du moins si le chômage disparait), et l’injecterait dans l’économie sans dette. Cela passerait par une allocation universelle aux ménages dès lors que les autorités monétaires estiment qu’il faut relancer la consommation – ce qui n’équivaut pas à un revenu de base permanent et suffisant pour vivre : on parle au mieux d’une centaine d’euros par mois par personne si toute la création monétaire est affectée à la consommation, ce qui n’est pas idéal ! Pour financer l’investissement, la monnaie serait également allouées aux entreprises, associations et organismes publics ou sociaux par un réseau de Caisses Départementales de Subventions aux Investissements sélectionnant les projets d’investissement (publics ou privés) répondant à des critères stratégiques en termes d’enjeux ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).
Ainsi pourraient être subventionnés la construction ou l’entretien de centrales solaires ou hydroliennes, de logements thermiquement isolés ou de bureaux énergétiquement performants, d’hôpitaux ou de maternités, d’usines vertes ou de commerces en circuits courts, d’écoles ou d’universités, de gares ou de voies ferrées, de fermes biologiques ou de forêts natives… sans qu’il n’en coûte rien à personne, puisque ces investissements seraient financés par création monétaire en dehors de toute dette de façon à répondre aux besoins sociaux en assurant le plein-emploi, et dans la limite d’un accroissement de la masse monétaire qui ne fasse pas déraper l’inflation. L’économie ne serait pas collectivisée comme en Union soviétique : l’essentiel des investissements seraient toujours financés par des prêts à intérêt sur le marché des capitaux (grâce à une épargne préalablement collectée par les banques, qui n’auront plus le pouvoir de création monétaire) mais tout accroissement de la masse monétaire nécessaire au développement économique, social et environnemental se ferait en dehors du marché du crédit, ce qui offre un formidable levier d’action à la puissance publique pour assurer un guidage souple de l’économie capable de relever les grands défis de notre temps.
Nous prônons donc une création monétaire entièrement désencastrée du marché du crédit, afin d’éviter l’accumulation de dettes fictives et de s’assurer que l’argent créé réponde à des besoins sociaux réels plutôt que d’alimenter des bulles spéculatives. Ni dette, ni marchandise, la monnaie est une institution, qui doit être contrôlée politiquement pour réguler et stabiliser l’économie de marché décentralisée qu’elle fonde.
1- La monnaie doit être désencastrée du marché, dont elle est le fondement. Il n’y a pas de marché sans monnaie : comme l’ont compris les anthropologues, le troc ne peut être que marginal, une société marchande ne pouvant se constituer qu’à partir d’échanges monétaires car la monnaie, comme moyen de paiement universellement accepté, résout le problème de la double coïncidence des besoins qui se pose dans le troc, et, comme unité de compte, crée un langage commun permettant d’exprimer la valeurs des biens dans un système de prix unifié, évitant d’avoir à comparer toutes les marchandises directement entre elles et de calculer le prix des bananes ou de l’électricité en voitures, en chaussures mais aussi en manucures ou en pain à chaque fois que l’on fait une transaction, ce qui serait impossible et rendrait la valeur des biens offerts ou demandés illisible pour chacun ! C’est la monnaie qui fonde le marché, et non le marché qui fonde la monnaie : il faut donc que la monnaie ne soit pas produite par le marché comme une marchandise (monnaie métallique) ou une dette (monnaie de crédit), car alors sa quantité fluctue en fonction de la conjoncture que subit le marché, alors-même que la masse monétaire en circulation détermine elle-même la conjoncture du marché et le niveau général des prix, créant une boucle d’instabilité autoentretenue !
2- En outre, la création monétaire ne doit pas nécessairement passer par la dette : ce n’était en effet pas le cas à l’époque des monnaies métalliques. Aucune dette ne se nouait quand un souverain découvrait une mine d’or et battait monnaie, ou même quand la libre frappe des pièces permettait à chaque détenteur d’un lingot de le transformer en pièces à l’Hôtel des Monnaies. Evidemment, la limite des monnaies métalliques est que leur quantité n’est pas contrôlée par le pouvoir souverain de manière à réguler l’économie, mais varie arbitrairement en fonction des découvertes fortuites de nouveaux gisements ou des périodes « famines monétaires »… qui ont justement stimulé l’invention de nouvelles formes de monnaie (billets puis monnaie scripturale) par les banquiers pour répondre aux besoins de l’économie. C’est par cette trajectoire historique contingente que la création monétaire a fini par échapper au monopole public pour tomber entre les mains des banquiers privés plus ou moins régulés par le pouvoir souverain, et s’est retrouvé encastrée dans la dette. Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir à l’étalon-or, cette « relique barbare » comme disait Keynes, mais de désencastrer la monnaie du marché et de la dette pour en refaire une institution contrôlée par la puissance publique.
Cela revient à rendre la monnaie « exogène », au sens où elle ne naîtrait plus spontanément des transactions marchandes. Il y aurait donc une rupture intégrale avec l’endogénéité de la monnaie – sauf à entendre par ce terme polysémique le simple fait que la monnaie doit toujours répondre à un besoin pour conserver sa valeur (comme me l’a fait remarquer Jézabel Couppey-Soubeyran pendant la soutenance). On peut alors présenter ma proposition de réforme non pas comme une rupture avec l’endogénéité de la monnaie, mais avec le mode décentralisé d’expression des besoins sociaux par la demande de crédits bancaires (pour réaliser des dépenses dont les individus estiment avoir besoin), auquel on substituerait un mode centralisé d’expression des besoins de dépense socio-économiques nécessaires à la collectivité. L’essentiel est qu’il appartienne désormais à la puissance publique de définir démocratiquement le volume de monnaie à créer chaque mois ou chaque année, et les critères politiques d’allocation des encaisses – la distribution fine des fonds au plus près des besoins étant ensuite assuré par un réseau de Caisses Départementales de Subvention aux Investissements dont la gouvernance inclurait toutes les parties prenantes d’un territoire (élus locaux, chambre de commerce et de l’industrie, syndicats, associations de consommateur, association de défense de l’environnement, etc.). C’est autour de ces nouveaux canaux de distribution publique de la monnaie que devrait s’articuler tout le système financier privé : la finance publique ne peut pas remplacer entièrement la finance privée, mais la puissance publique doit être remise au centre du jeu, car elle seule est en mesure de définir un horizon commun de développement durable, une vision partagée de l’avenir sur laquelle peuvent se coordonner les agents privés pour sortir de la finance punk et orienter à nouveau l’épargne vers les investissements productifs.
La création monétaire doit redevenir un monopole public. Cela ne signifie pas que la puissance publique soit toute puissante sur la monnaie qui serait une simple « créature de l’Etat » comme le pensent les néochartalistes partisans de la Théorie Monétaire Moderne qui s’inspirent de Georg Knapp (économiste allemand du début du XXe siècle) et d’Abba Lerner (économiste américain des Trente Glorieuses). La société civile a son mot à dire, car elle peut rejeter la monnaie que l’Etat tente de lui imposer s’il en émet trop et ne parvient pas à garantir sa valeur : c’est ce qui se passe pendant une crise d’hyperinflation. Comme le soulignent André Orléan et Frédéric Lordon, les assignats émis par la Caisse de l’Extraordinaire pendant la Révolution française enregistreront une dépréciation de 97% alors que la peine de mort menace quiconque les refuserait comme moyen de paiement. Dans un rejet quasi-unanime, les Français préfèrent prendre le risque de la guillotine plutôt que d’être payés dans cette monnaie de singe ! L’Etat, impuissant, doit renoncer à l’expérience, preuve que la monnaie n’est pas sa créature. Elle ne doit naître que pour répondre à un besoin économique réel, et doit dès lors être créée dans des quantités limitées, avec un rythme d’accroissement maîtrisé.
A l’inverse des chartalistes, d’autres auteurs éminents comme Carl Menger, économiste autrichien du XIXe siècle, voient la monnaie comme un produit du marché plutôt que de l’Etat. Cet auteur a théorisé l’émergence spontanée de la monnaie à partir de la recherche par les agents de moyens de paiements liquides. Mais comme nous l’avons dit, la monnaie est première par rapport au marché qui se fonde sur elle : c’est d’ailleurs confirmé par le fait que les monnaies de comptes inventées par les Grands Organismes (temples puis palais) en Mésopotamie antique pour les besoins de leur comptabilité interne ont historiquement précédé l’émergence des échanges marchands, et que le marché décentralisé (indépendant des Grands Organismes) n’a connu d’essor qu’avec l’invention des pièces de monnaies par l’Etat en Lydie au VIe siècle avant notre ère ! C’est l’Etat qui, en tant qu’émetteur, certifie par son sceau la valeur, reconnue par toute la société, de chaque unité monétaire en circulation ; c’est lui qui crée un besoin universel de monnaie en prélevant l’impôt sous cette forme ; c’est lui qui assure le cours légal de la monnaie en pénalisant les refus de paiement monétaire. La monnaie est cette figure de la totalité sociale présente au cœur de chaque transaction privée (ce qu’on l’oublie trop souvent, en réduisant le marché à une juxtaposition de contrats privés sans médiation institutionnelle commune !), et seul l’Etat peut garantir la stabilité de cette institution.
Qu’une monnaie n’est pas viable sans le renfort de la puissance souveraine, qui seule lui confère sa stabilité, c’est ce qu’illustre le phénomène du Bitcoin, dont le cours totalement instable en fait un crypto-actif spéculatif plutôt qu’une crypto-monnaie. Comme les lingots d’or, il lui manque en effet deux fonctions essentielles de la monnaie : il n’est pas une unité de compte (qui fait ses comptes, calcule la valeur d’un bien ou affiche son prix en Bitcoin ?) ni un moyen de paiement (qui fait ses courses en Bitcoin ?). Même la fonction de réserve de valeur n’a pas la stabilité de la monnaie : comme l’or, le Bitcoin est un actif spéculatif, qui ne génère aucun rendement (ni dividende, ni intérêt, ni loyer), et donc la valeur ne vient que du fait que d’autres agents seront prêts, demain, à acheter plus cher cet actif qui ne sert à rien… un morceau de néant qui s’achète et se revend toujours plus cher tant que l’optimisme règne ! Mais le moindre choc de confiance peut faire s’effondrer brutalement la valeur de cet actif purement spéculatif que personne n’est contraint d’utiliser au quotidien dans chacune de ses transactions (contrairement à la monnaie). La monnaie n’est pas la créature de l’Etat, mais elle n’est viable que domestiquée par lui ! La vérité sur la nature institutionnelle de la monnaie, ce concentré de confiance sociale cristallisée par les échanges marchands bilatéraux et la régulation de la puissance souveraine, nous semble donc se situer entre Menger et Knapp, Bitcoin et assignat. Désencastrer la création monétaire du marché du crédit ne doit donc pas conduire à faire n’importe quoi avec la monnaie au risque de l’ensauvager ! Les dispositifs institutionnels à mettre en place doivent donc organiser l’indépendance et la responsabilité des autorités monétaires, contrepartie de leur pouvoir de régulation politique de l’économie qui est plus que jamais nécessaire.
[1] Les bank runs, ou ruées bancaires, sont un phénomène de défiance auto-réalisatrice, illustré par exemple par une célèbre scène de Mary Poppins : une rumeur infondée fait croire aux déposants que la banque n’a plus de quoi payer les retraits, chacun se précipite au guichet pour retirer l’argent tant qu’il en reste, ce qui provoque de facto le problème, car la banque ne garde en réserve qu’une fraction des encaisses qu’elle doit dans un système d’argent-dette, et peut donc faire faillite à cause d’une simple rumeur – sauf à emprunter dans l’urgence à la Banque Centrale.