Menu Close

Extrait du Chapitre 2 : l’encastrement fortuit de la monnaie dans le marché de la dette

La valeur totémique du métal se transférant au papier puis aux simples jeux d’écriture des registres comptables, les nouvelles formes historiques ont finalement délivré la monnaie de son encastrement millénaire dans le métal… Mais elles l’ont simultanément encastrée dans la dette, faisant d’elle une créance convertible en monnaie de la Banque centrale, et, surtout, la mettant en circulation entièrement par le crédit. Le crédit bancaire a joué un rôle historique décisif, puisqu’accorder un maximum de prêts à intérêt pour réaliser du profit (quitte à aller au-delà des réserves) a été la motivation essentielle des banques dans la création de la monnaie fiduciaire et scripturale. Ce n’est donc pas d’abord à une décision politique assumée que l’institution de la monnaie de crédit, centrale dans nos économies contemporaines, doit son apparition (quoi que le rôle de l’Etat demeure déterminant dans la création de la Banque d’Angleterre, de la Banque de France ou de la Réserve Fédérale américaine), mais plutôt au jeu des intérêts individuels dont elle est historiquement née : ceux des banquiers (prêtant au-delà de leurs réserves pour accroître leurs profits) et des débiteurs (entreprises, Etat ou ménages cherchant par l’emprunt à accroître leur pouvoir d’achat). Cela a permis de compenser la trop grande rareté de la monnaie à l’époque de l’étalon-or – au prix (largement inaperçu) d’une endogénéisation et d’une chrono-limitation de la monnaie. La monnaie qui était, sous sa forme métallique, indépendante de la dette, a été encastrée dans le rapport d’endettement sans que personne n’en mesure pleinement les conséquences avant longtemps, le grand public comme la plupart des économistes n’y voyant, au moins jusqu’à Keynes et Fisher, que l’émergence de la forme scripturale de la monnaie, sans comprendre pleinement que sa mise en circulation passe désormais par le marché de la dette.

La création monétaire par le crédit n’est donc pas selon nous une nécessité logique première, une nécessité fonctionnelle de toute économie monétaire de production, comme le pensent circuitistes et postkeynésiens (on y reviendra), mais un état de fait historique contingent. Il n’y a en fait aucune nécessité de mettre la monnaie fiduciaire ou scripturale en circulation par le crédit, puisque l’argent ne tire pas sa valeur d’avoir été mis en circulation par des prêts mais simplement de son acceptation par tous, c’est-à-dire de sa désirabilité intrinsèque (le signe élu comme monnaie à l’issue d’un processus de convergence polarise le désir mimétique), de sa recevabilité pour le paiement de l’impôt (que tous doivent payer, ce qui stabilise la convergence mimétique vers le totem monétaire accepté par l’Etat) et de son cour légal (qui renforce l’acceptabilité unanime, le pouvoir libératoire universel de la monnaie). Ainsi, si le crédit a été historiquement le moteur du passage de la monnaie métallique à la monnaie fiduciaire et scripturale, le lien entre les deux peut théoriquement être rompu.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *