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Extrait du Chapitre 8 : quelles solutions ?

Le débat économique récent a fait émerger plusieurs propositions hétérodoxes pour faire face aux contradictions de la monnaie endogène. Leur degré de radicalité varie, la plupart ne proposant pas de rupture franche avec ce mode d’émission. La plus classique vise à reconstruire un policy mix articulant politique monétaire, budgétaire et macro-conjoncturelle, mais une réforme plus ambitieuse consisterait à mettre la finance privée sous tutelle, en conférant une place centrale à des banques publiques de développement plutôt qu’aux marchés financiers dans la construction de conventions partagées sur l’avenir permettant aux acteurs de se coordonner. La Théorie Monétaire Moderne va jusqu’à affirmer que l’Etat ne rencontre aucune limite budgétaire puisqu’il a la capacité d’émettre la monnaie en régulant l’économie par son déficit, mais cette approche, fondée sur l’idée que la monnaie est une créature de l’Etat, surestime à nos yeux la capacité de contrôle de l’Etat sur la monnaie et sous-estime la menace que peut représenter la dette publique, qui atteint aujourd’hui des niveaux inégalés hors période de guerre. Des propositions répondent toutefois à ce problème en contournant l’encastrement de la monnaie dans la dette, soit par l’effacement de la dette publique détenue par la Banque centrale, soit par l’helicopter money, mais sans aller jusqu’à une monnaie entièrement exogène comme nous le proposons à la suite de Fisher.

Inspiré par un auteur libéral, notre projet permettrait aussi bien de mener des politiques keynésiennes, car la question du mode d’émission se pose selon nous en amont de celle de la politique monétaire. L’atteinte des objectifs retenus n’est en revanche pas totalement indépendante du régime choisi : en régime endogène, sans policy mix efficace, le succès des politiques menées peut être compromis par l’absence de contrôle réel de la Banque centrale sur la masse monétaire (comme on l’a vu au chapitre précédent), que ces politiques visent la stabilité des prix ou bien le plein-emploi. En régime exogène, la création monétaire ne serait plus abandonnée aux forces décentralisées du marché du crédit, dont nous avons montré l’absence d’autorégulation : au contraire, le montant des émissions serait fixé chaque mois par une institution centrale (indépendante du gouvernement pour résister à la tentation de surémission, mais potentiellement dotée d’une gouvernance démocratique), selon des objectifs macroéconomiques qui peuvent aussi bien être libéraux (se cantonnant à la stabilité des prix) que keynésiens (incluant le plein-emploi et des objectifs de développement, option qui a bien sûr notre préférence).

Centralisé, le nouveau système reposerait toutefois sur une architecture institutionnelle subtile. Mises en circulation en dehors de toute dette, les encaisses créées seraient attribuées sans contreparties, réparties dans le respect de la justice sociale par deux moyens alternatifs : soit par une allocation universelle versée aux ménages (si l’arbitrage se fait en faveur d’une relance par la consommation), soit par des subventions aux investissements publics et privés répondant à certains critères ESG[1] démocratiquement définis (si l’on privilégie le canal de l’investissement). Cette dernière option nécessite que les projets soient sélectionnés par un réseau de Caisses publiques de subventions [aux investissements stratégiques] dont le maillage territorial autoriserait une distribution fine des fonds au plus près des besoins, dans la limite des montants fixés chaque mois par l’Institution d’Emission. Transformées en caisses d’épargne, les banques privées n’auraient plus le pouvoir de création monétaire, mais joueraient toujours un rôle essentiel dans la collecte de l’épargne et l’octroi de prêts aux conditions du marché.


[1] Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (critères de justice sociale des investissements).

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  1. Pingback:Et si le déficit n’était pas un souci ? Entretien avec la cheffe de file de la « Théorie moderne de la monnaie » — Monnaie & Dette

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